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Dépendance et indépendance linéaires, base et dimension

Synthèse claire de la dépendance/indépendance linéaires, des bases et de la dimension des espaces vectoriels, avec définitions, théorèmes et corollaires clés.

Dépendance et indépendance linéaires, base et dimension

Prérequis

Dépendance linéaire et indépendance linéaire

Pour un espace vectoriel $\mathbb{V}$ et un sous-espace $\mathbb{W}$, supposons que l’on veuille trouver le plus petit sous-ensemble fini $S$ qui engendre $\mathbb{W}$.

Étant donné $S = \{\mathbf{u}_1, \mathbf{u}_2, \mathbf{u}_3, \mathbf{u}_4 \}$ avec $\mathrm{span}(S) = \mathbb{W}$, comment déterminer s’il n’existe pas de sous-ensemble strict de $S$ qui engendre encore $\mathbb{W}$ ? Cela revient à décider si un vecteur extrait de $S$ peut s’écrire comme combinaison linéaire des autres. Par exemple, une condition nécessaire et suffisante pour exprimer $\mathbf{u}_4$ comme combinaison linéaire des trois autres est l’existence de scalaires $a_1, a_2, a_3$ satisfaisant

\[\mathbf{u}_4 = a_1\mathbf{u}_1 + a_2\mathbf{u}_2 + a_3\mathbf{u}_3\]

Or, il est fastidieux de monter à chaque fois un système linéaire pour chacun des quatre vecteurs $\mathbf{u}_1, \mathbf{u}_2, \mathbf{u}_3, \mathbf{u}_4$. Modifions légèrement l’approche:

\[a_1\mathbf{u}_1 + a_2\mathbf{u}_2 + a_3\mathbf{u}_3 + a_4\mathbf{u}_4 = \mathbf{0}\]

Si l’un des vecteurs de $S$ est combinaison linéaire des autres, alors il existe une écriture du vecteur nul comme combinaison linéaire des éléments de $S$ où au moins un des coefficients $a_1, a_2, a_3, a_4$ est non nul. La réciproque est vraie: s’il existe une écriture de $\mathbf{0}$ comme combinaison linéaire des vecteurs de $S$ avec au moins un coefficient non nul, alors l’un des vecteurs de $S$ est combinaison linéaire des autres.

Généralisons et définissons ainsi la dépendance linéaire et l’indépendance linéaire.

Définition
Pour un sous-ensemble $S$ d’un espace vectoriel $\mathbb{V}$, s’il existe un nombre fini de vecteurs deux à deux distincts $\mathbf{u}_1, \mathbf{u}_2, \dots, \mathbf{u}_n \in S$ et des scalaires $a_1, a_2, \dots, a_n$, pas tous nuls, tels que $a_1\mathbf{u}_1 + a_2\mathbf{u}_2 + \cdots + a_n\mathbf{u}_n = \mathbf{0}$, alors l’ensemble $S$ (et ces vecteurs) est dit linéairement dépendant (linearly dependent). Dans le cas contraire, il est dit linéairement indépendant (linearly independent).

Pour des vecteurs arbitraires $\mathbf{u}_1, \mathbf{u}_2, \dots, \mathbf{u}_n$, on a $a_1\mathbf{u}_1 + a_2\mathbf{u}_2 + \cdots + a_n\mathbf{u}_n = \mathbf{0}$ lorsque $a_1 = a_2 = \cdots = a_n = 0$; c’est la représentation triviale du vecteur nul (trivial representation of $\mathbf{0}$).

Les trois propositions suivantes sont toujours vraies dans tout espace vectoriel. En particulier, la Proposition 3 est très utile pour décider si un ensemble fini est linéairement indépendant.

  • Proposition 1: L’ensemble vide est linéairement indépendant. Pour qu’un ensemble soit linéairement dépendant, il ne doit pas être vide.
  • Proposition 2: Un ensemble constitué d’un seul vecteur non nul est linéairement indépendant.
  • Proposition 3: Un ensemble est linéairement indépendant si et seulement si la seule combinaison linéaire qui donne $\mathbf{0}$ est la représentation triviale.

On aura également besoin des résultats suivants.

Théorème 1
Si $\mathbb{V}$ est un espace vectoriel et $S_1 \subseteq S_2 \subseteq \mathbb{V}$, alors $S_1$ linéairement dépendant implique $S_2$ linéairement dépendant.

Corollaire 1-1
Si $\mathbb{V}$ est un espace vectoriel et $S_1 \subseteq S_2 \subseteq \mathbb{V}$, alors $S_2$ linéairement indépendant implique $S_1$ linéairement indépendant.

Théorème 2
Soient un espace vectoriel $\mathbb{V}$ et un sous-ensemble $S$ linéairement indépendant. Pour un vecteur $\mathbf{v} \in \mathbb{V}$ qui n’appartient pas à $S$, une condition nécessaire et suffisante pour que $S \cup \{\mathbf{v}\}$ soit linéairement dépendant est que $\mathbf{v} \in \mathrm{span}(S)$.

En d’autres termes, si aucun sous-ensemble strict de $S$ n’engendre le même espace que $S$, alors $S$ est linéairement indépendant.

Base et dimension

Base

Un ensemble générateur $S$ de $\mathbb{W}$ qui est linéairement indépendant possède une propriété remarquable: tout vecteur de $\mathbb{W}$ s’écrit nécessairement comme combinaison linéaire des vecteurs de $S$, et cette écriture est unique (Théorème 3). Ainsi, on appelle base (basis) d’un espace vectoriel tout ensemble générateur linéairement indépendant.

Définition d’une base
Pour un espace vectoriel $\mathbb{V}$ et un sous-ensemble $\beta$, si $\beta$ est linéairement indépendant et engendre $\mathbb{V}$, alors $\beta$ est une base (basis) de $\mathbb{V}$. Les vecteurs de $\beta$ sont dits former une base de $\mathbb{V}$.

On a $\mathrm{span}(\emptyset) = \{\mathbf{0}\}$ et $\emptyset$ est linéairement indépendant. Ainsi, l’ensemble vide est une base de l’espace réduit au point.

En particulier, on appelle la base suivante de $F^n$ la base canonique (standard basis) de $F^n$.

Définition de la base canonique
Dans l’espace vectoriel $F^n$, considérons les vecteurs

\[\mathbf{e}_1 = (1,0,0,\dots,0),\ \mathbf{e}_2 = (0,1,0,\dots,0),\ \dots, \mathbf{e}_n = (0,0,0,\dots,1)\]

Alors l’ensemble $\{\mathbf{e}_1, \mathbf{e}_2, \dots, \mathbf{e}_n \}$ est une base de $F^n$, appelée base canonique (standard basis) de $F^n$.

Théorème 3
Pour un espace vectoriel $\mathbb{V}$ et des vecteurs deux à deux distincts $\mathbf{u}_1, \mathbf{u}_2, \dots, \mathbf{u}_n \in \mathbb{V}$, un ensemble $\beta = \{\mathbf{u}_1, \mathbf{u}_2, \dots, \mathbf{u}_n \}$ est une base de $\mathbb{V}$ si et seulement si « tout vecteur $\mathbf{v} \in \mathbb{V}$ s’écrit de manière unique comme combinaison linéaire de vecteurs de $\beta$ ». Autrement dit, il existe un unique $n$‑uplet de scalaires $(a_1, a_2, \dots, a_n)$ tel que

\[\mathbf{v} = a_1\mathbf{u}_1 + a_2\mathbf{u}_2 + \cdots + a_n\mathbf{u}_n\]

D’après le Théorème 3, lorsque $\mathbf{u}_1, \mathbf{u}_2, \dots, \mathbf{u}_n$ forment une base de l’espace vectoriel $\mathbb{V}$, alors, dans $\mathbb{V}$, à tout vecteur $\mathbf{v}$ correspond un unique $n$‑uplet de scalaires $(a_1, a_2, \dots, a_n)$, et réciproquement, à tout $n$‑uplet de scalaires correspond un unique vecteur $\mathbf{v}$. Nous y reviendrons en étudiant l’invertibilité et les isomorphismes; dans ce cas, $\mathbb{V}$ et $F^n$ sont essentiellement équivalents.

Théorème 4
Si $S$ est un ensemble fini tel que $\mathrm{span}(S) = \mathbb{V}$, alors $S$ possède un sous-ensemble qui est une base de $\mathbb{V}$. En particulier, $\mathbb{V}$ admet une base finie dans ce cas.

Un grand nombre d’espaces vectoriels entrent dans le champ d’application du Théorème 4, mais pas tous. Une base peut être infinie.

Dimension

Théorème 5: théorème du remplacement (replacement theorem)
Soit $G$ un ensemble de $n$ vecteurs tel que $\mathrm{span}(G) = \mathbb{V}$. Si $L$ est un sous-ensemble de $\mathbb{V}$ constitué de $m$ vecteurs linéairement indépendants, alors $m \leq n$. De plus, il existe un sous-ensemble $H \subseteq G$ de $n-m$ vecteurs tel que $\mathrm{span}(L \cup H) = \mathbb{V}$.

On en déduit deux corollaires essentiels.

Corollaire 5-1 du théorème du remplacement
Si l’espace vectoriel $\mathbb{V}$ admet une base finie, alors toute base de $\mathbb{V}$ est finie et elles ont toutes le même nombre de vecteurs.

Ainsi, le nombre de vecteurs d’une base de $\mathbb{V}$ est un invariant fondamental de $\mathbb{V}$, appelé sa dimension (dimension).

Définition de la dimension
Un espace vectoriel qui admet une base finie est de dimension finie (finite dimension); le nombre d’éléments $n$ d’une base est la dimension (dimension) de l’espace, notée $\dim(\mathbb{V})$. Un espace vectoriel qui n’est pas de dimension finie est de dimension infinie (infinite dimension).

  • $\dim(\{\mathbf{0}\}) = 0$
  • $\dim(F^n) = n$
  • $\dim(\mathcal{M}_{m \times n}(F)) = mn$

La dimension d’un espace vectoriel dépend du corps sous-jacent.

  • Sur le corps des complexes $\mathbb{C}$, l’espace vectoriel $\mathbb{C}$ a dimension $1$; une base est $\{1\}$
  • Sur le corps des réels $\mathbb{R}$, l’espace vectoriel $\mathbb{C}$ a dimension $2$; une base est $\{1,i\}$

Dans un espace vectoriel de dimension finie $\mathbb{V}$, aucun sous-ensemble ayant plus de $\dim(\mathbb{V})$ vecteurs ne peut être linéairement indépendant.

Corollaire 5-2 du théorème du remplacement
Soit $\mathbb{V}$ un espace vectoriel de dimension $n$.

  1. Tout ensemble générateur fini de $\mathbb{V}$ contient au moins $n$ vecteurs; tout ensemble générateur de $n$ vecteurs est une base de $\mathbb{V}$.
  2. Tout sous-ensemble de $\mathbb{V}$ linéairement indépendant et formé de $n$ vecteurs est une base de $\mathbb{V}$. 3. Tout sous-ensemble linéairement indépendant $L \subseteq \mathbb{V}$ peut être étendu en une base: il existe une base $\beta \supseteq L$ de $\mathbb{V}$.

Dimension d’un sous-espace

Théorème 6
Dans un espace vectoriel $\mathbb{V}$ de dimension finie, tout sous-espace $\mathbb{W}$ est de dimension finie et $\dim(\mathbb{W}) \leq \dim(\mathbb{V})$. En particulier, si $\dim(\mathbb{W}) = \dim(\mathbb{V})$, alors $\mathbb{V} = \mathbb{W}$.

Corollaire 6-1
Pour un sous-espace $\mathbb{W}$ d’un espace vectoriel $\mathbb{V}$ de dimension finie, toute base de $\mathbb{W}$ peut être étendue en une base de $\mathbb{V}$.

D’après le Théorème 6, la dimension d’un sous-espace de $\mathbb{R}^3$ peut être $0, 1, 2$ ou $3$.

  • Dimension 0: l’espace réduit au point $\{\mathbf{0}\}$ (ne contenant que l’origine $\mathbf{0}$)
  • Dimension 1: une droite passant par l’origine $\mathbf{0}$
  • Dimension 2: un plan contenant l’origine $\mathbf{0}$
  • Dimension 3: tout l’espace euclidien $\mathbb{R}^3$
Cet article est sous licence CC BY-NC 4.0 par l'auteur.